Gérard de Nerval

Voici deux sonnets de deux grands poète français du XIXe siècle: "El desdichado" (le déchu, le déshérité) de Gérard de Nerval (1808-1855) et "Les Conquérants" de José Maria de Heredia.

Gérard de Nerval était un homme hypersensible, orphelin, n'ayant pas connu sa mère, il souffrira de troubles mentaux et mourra sans doute par suicide. Romantique, aimant les voyages, un peu comme Baudelaire, il est envahi par le rêve et le surréel. Il croit à la métempsycose (réincarnation) comme on va le voir dans son célèbre sonnet.

Beaucoup plus jeune que Nerval, José Maria de Heredia (1842-1905) est né à Cuba et mourra à Paris. Il était descendant d'un conquistador ami de Cortez, d'où le titre du sonnet qui fait allusion, non pas à Jacques Cartier, le Conquérant français, mais au premier voyage de Christophe Colomb qui est parti d'une ville près de Cadix et de Gibraltar, sur la face Atlantique, et qui s'appelle Palos de Moguer . Heredia, ami de Leconte de Lisle, est rattaché au courant littéraire des Parnassiens.

 
         El  desdichado

Je suis le ténébreux,  le veuf,  l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus?... Lusignan ou Biron?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron,
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.

 
Gérard de Nerval  (1808-1855)

Les  Conquérants

Comme un vol de gerfauts, hors du charnier natal
Fatigués de porter leurs misères hautaines
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré ;

Ou, penchés à l'avant des blanches caravelles
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'océan des étoiles nouvelles.

José Maria de Heredia  (1842-1905)

 Ci-dessous, au fond de la page, sur la flèche, mon enregistrement, voix, guitare et harmonica de ces deux sonnets de Nerval et Heredia.

Bonne lecture et bonne écoute.