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comment je vais, patricia? tout doucement, je vieillis (80) et je deviens gâteux petit à petit, au point de ne
Par Michel, le 23.11.2024
comment vas-tu michel ? http://patrici a93.centerblog .net
Par patricia93, le 20.11.2024
merci, petite soeur! j'ai quatre-vingts ans cette année, tu vois comme le temps passe! on se fait traiter de p
Par michel, le 14.11.2024
bonjour petit frangin d,une autre vie , j,espère que ce message  te  trouvera  en meilleur santé  et que cela 
Par +veronique+, le 31.10.2024
merci beaucoup, petite soeur véro. je ne vais pas très bien je vais peut-être entrer dans une maison de retrai
Par teston tramontane, le 29.10.2024
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	        	  Date de création : 27.01.2012
	        	  
Dernière mise à jour :
		        	 26.07.2024
		        	 
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Ausone poète gaulois ( teston michel)
Ausone de Bordeaux (Vers 309-395)
J’ai voulu, dans ce livre, consacrer quelques pages à Ausone, parce que, lui aussi, il est en quelque sorte un poète maudit, non pas par sa vie et sa réussite sociale, mais parce qu’il n’a pas dans nos manuels la place qu’il mérite. On la pratiquement retiré de nos mauels, dictionnaires et encyclopédies ces dernières décennies !
Je salue en lui pratiquement le premier et dernier poète gaulois, le dernier poète latin et sinon le père, du moins le grand-père de la littérature occitane, de la littérature française, voire même des autres littératures européennes! Il a donc un rôle charnière dans l’histoire de toutes nos littératures. Les Gaulois, hélas! pour eux, avait une culture exclusivement orale, et je pense que c’est ce qui les a perdus par rapport aux Romains, car c’étaient des guerriers fantastiques et des gens très ingénieux qui avaient par exemple inventé la braille ou pantalon, et le tonneau qui a fait la gloire séculaire des vins! La guerre gallo-romaine, c’est pour moi l’affrontement décisif, entre l’écrit et l’oral, l’écrit l’emportant historiquement sur l’oral, même lorsque la civilisation orale des druides eut atteint son plus haut niveau. Jamais plus par la suite, une civilisation sans archives écrites n’a pu l’emporter sur une civilisation de l’écrit.
Decimus Magnus Ausonius, ou Ausone, naquit à Bordeaux vers l’an 309 et mourut après 393, vers l’an 395. Il était le fils aîné de Jules Ausone, un grand médecin de son temps originaire de Bazas, près de Bordeaux. Son oncle maternel, Emilius Magnus Arborius, était, quant à lui, un fameux mathématicien et astrologue. Par un horoscope, il prédit le plus grand avenir à son neveu.
Ausone semble donc avoir été un jeune surdoué, chouchou, dès l’enfance, de toute sa famille. Et on lui donna les plus grands professeurs du pays, des grammairiens, des rhéteurs, comme son oncle Arborius, rhéteur à Toulouse ! Si bien qu’à trente ans Ausone régentait déjà la grammaire de sa patrie, car l’éloquence et le savoir bien parler était on ne peut plus prestigieux en ce temps-là. Un prof intellectuel et bourgeois, cet Ausone !
Il épousa Attusia Lucana Sabina, fille d’un des principaux citoyens de Bordeaux. Elle mourut fort jeune, mais eut le temps d’avoir trois enfants. Son fils Hespérius fut proconsul, et préfet du Prétoire des Gaules ou d’Italie, sous la houlette du poète, son gendre Euromius, fut préfet d’ Illyrie et Thalassius le deuxième mari de sa fille, proconsul d’Afrique. Même son vieux père aura au moins le titre de préfet d’Illyrie ! L’ami Paulin sera consul, juste avant lui, malgré sa jeunesse. Devenu célèbre en enseignant à Bordeaux, l’empereur Valentinien l’appela auprès de lui pour lui confier l’éducation de son fils Gratien, futur empereur, entre l’an 363 et 367.
Ce fut, dès lors, la course aux honneurs, bien qu’Ausone fût déjà largement quinquagénaire. Il devint comte, questeur, Préfet des Gaules et de l’Italie (les deux tiers de l’empire romain ) et parvint au Consulat (Numéro 2 de Rome pendant un an renouvelable) en l’an 379. Ausone avait une mémoire prodigieuse et pouvait écrire très vite, puisqu’il écrivit, dit-on, son "Centon" en vingt-quatre heures, sur commande urgente de l’empereur Valentinien qui en avait écrit un lui aussi et qui voulait le comparer à celui d’Ausone !
Grâce à la tradition orale gauloise, il apprenait tout par coeur et connaissait à fond tous les auteurs grecs et latins, même ceux qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Cette mémoire prodigieuse fait de lui un poète qui semble pédant, précieux avant la lettre, mais, en fait, cela relevait de la culture gauloise. Il devait en mettre plein la vue par cette mémoire de druide archiviste.
Il fut statufié sur la place publique créée par Trajan, et aujourd’hui encore le Capitole aurait sa statue ( peut-être pas la même, sans doute) . Il semble que la rhétorique des Gaulois ait été à la mode en ce temps-là, car on faisait des académies et des prix d’éloquence à Lyon, Bordeaux, Toulouse, Narbonne. Partout, il y avait des orateurs et des déclamateurs.
Mais Ausone était un sage, magnanime, dépourvu d’ambition personnelle et de cupidité, il demandait plus pour les autres que pour lui-même. Il était très attaché à son pays, à sa Garonne, à ses parents et ses amis. Diplomatiquement très habile, il savait flatter l’empereur et c’est sans doute pour ça qu’il réussit à vivre longtemps dans les allées du pouvoir sans se faire égorger et en y jouant, de toute évidence un rôle de modérateur grâce à son esprit de tolérance. Quand l’empereur et la cour lui demandèrent d’écrire un ouvrage obscène, "Le Centon" il s’exécuta en disant plus tard que ses écrits ne constituaient pas la règle de ses moeurs. Chrétien, on lui fit la réputation d’être léger et de ne pas être un fou de Dieu.Pourtant, ce chrétien contemporain de tous les Pères de l’Eglise et ne parlant pas beaucoup de christianisme dans ses oeuvres, avait cependant une chapelle dans sa villa et allait y dire ses prières tous les matins !
On apprend aussi en le lisant, qu’il mangeait tous les matins les bonnes huîtres de son pays, le Médoc. Est-ce pour cela qu’il devint largement octogénaire et son père nonagénaire ? Et cependant, il devait à son âge parcourir l’Europe dans son char tiré par trois chevaux, dit-il, plutôt que dans un char à boeufs, comme on l’a reproché aux rois fainéants?
Il eut par ailleurs comme élève les hommes les plus prestigieux de son temps, notamment Symmaque, dont l’amitié semble très socratique, et Paulin de Nole, qui, comme l’empereur Théodose lui-même, s’adressait à Ausone en le traitant du terme très respectueux de : mon père. Paulin était un aristocrate, un consul, peut-être grâce à Ausone qui plaçait ses parents et ses amis aux plus hautes fonctions romaines. Il plaqua tout pour aller vivre comme un ermite à la campagne ( mais quand même avec Thérasie, sa charmante épouse espagnole, ce qu’Ausone, un peu jaloux, lui reprochait ) pour devenir un évêque et un saint reconnu du christianisme.
Par ailleurs, on s’est même demandé, si saint Ausone, évêque d’Angoulême, et le poète du même nom, qui avait des propriétés jusqu’à Saintes, n’était pas, en fait, la seule et même personne car, en ce temps-là, on choisissait des hommes savants comme évêques et les canonisations se faisaient surtout par la piété et la dévotion du peuple envers un homme méritant, ou pour des raisons politiques.
L’époque d’Ausone est une époque de saints, et même celle des Pères de l’Eglise. J’en citerais quelques-uns : saint Martin, saint Ambroise, saint Jérome, les deux saint Grégoire, de Naziance et de Nysse, et le frère de ce dernier, saint Basile, le pape saint Athanase, saint Paulin, saint Delphin de Bordeaux, saint Sulpice Sévère, etc., des saints qui ont eu aussi un grand rôle politique et qu’Ausone a dû connaître, par exemple dans les conciles... Il est aussi intéressant de constater que le latin d’Eglise est le latin de ces gens-là, et le latin d’Ausone.
Gratien, le jeune empereur dont il fut le précepteur, fut tué par Maxime, son successeur, en 383.Sans doute qu’Ausone n’apprécia pas, car il se retira chez lui, malgré l’insistance de Théodose souhaitant le contraire. Théodose finira lui-même par tuer l’usurpateur Maxime et être le dernier, et pour quelques mois seulement, à avoir réuni les deux empires, celui d’occident et celui d’orient. Il prit donc sa retraite dans son domaine, près de Bordeaux, où il n’avait pas seulement son petit héritage(voir ci-dessous).
Riche, sage, cultivé et raffiné, il vivait alors avec son élève préféré, le futur saint Paulin, évêque de Nole, il nous parle aussi de Bissula, une jolie fille, un butin de guerre offert par l’empereur Valentinien lors de sa campagne contre les Alamans, en 368, une enfant qu’il avait aussi adoptée, éduquée, et peut-être aimée tendrement par la suite, tant il en parle poétiquement. Mais on ne peut douter de la bonté de cet homme, dans l’époque dure qui fut la sienne, au milieu de la tyrannie (Valentinien, Maxime, Valens, Théodose, tous cruels, seul le jeune Gratien, l’élève puis le grand bienfaiteur d’Ausone, semble avoir été plus sympa, mais il sera assassiné à l’âge de vingt-quatre ans, entre Lyon et Grenoble, qu’il fonda, Gratien étant l’origine étymologique de Grenoble). Au milieu de tous ces Césars et ces Augustes, comme il le dit lui-même, Ausone semble avoir joué un rôle politique de pacificateur, avoir été un homme tolérant, capable de concilier l’inconciliable: le christianisme et la barbarie politique.
En ce temps-là le pouvoir romain s’était déplacé à Trêves, mais Ausone semble avoir voyagé d’un bout à l’autre de l’Empire avec une facilité déconcertante pour les automobilistes que nous sommes tous aujourd’hui. Vu ses fonctions, les empereurs lui demandaient parfois de faire des oeuvres de propagande : La Moselle (ayant pour but de faire croire aux Romains que Trêves était un Pays de Cocagne plein de poissons, de naïades, etc. ) ou le Centon nuptial parce qu’on devait être paillard, orgiaque, ivrogne et débauché dans le milieu de la cour...
Ausone, super habile, sauve à chaque fois sa peau avec élégance, près des empereurs il s’en tirera mieux que Cicéron, Pétrone ou Sénèque, assassinés ou contraints au suicide, il s’acquitte fort bien de ce qu’on lui demande, avec élégance et courtoisie, sans croire un traitre mot de ce qu’on l’oblige à dire ou à écrire, car il s’en explique en privé, à ses amis intimes. Malgré tout, il y a quand même en lui un vrai Gaulois. Jamais l’Eglise ne pourra canoniser l’auteur du Centon nuptial !
Ses principales oeuvres ce sont : les Epitaphes, où il nous parle des héros de l’Antiquité et de l’Histoire, les Epigrammesoù on voit qu’Ausone est le critique d’art de son temps, les Ephémérides qui présente un grand intérêt historique et documentaire sur la vie quotidienne de son temps,
les Eglogues, où il montre son érudition professorale, les Epitres, notamment à Paulin et à Symmaque où on voit son esprit et son intelligence philosophique, les douze césars, les Idylles qui constituent son oeuvre la plus poétique au sens lyrique du terme, où il nous parle de la Moselle, des roses dont s’inspirera Ronsard, mais aussi de son pays, l’ Ordre des villes célèbres, de ses parents, Parentalia, de ses maîtres, Professores, de ses collègues avec un don de l’observation et de la peinture, et beaucoup de sensibilité et d’affection.
Ausone est poète, critique d’art, académicien, savant, ministre de la culture et de l’éducation, conseiller des empereurs, préfet du prétoire, c’est-à-dire grand chef miltaire, tout ce qu’on veut ! On regrettera qu’une de ses oeuvres majeures ne soit pas arrivée jusqu’à nous, à moins qu’elle ne soit enfouie dans l’enfer d’une grande bibliothèque européenne, et qu’on la redécouvre un jour, il s’agit des Fastes de Rome.
Extrait du livre de Michel Teston : "De quelques poètes maudits et troubadours" , 2008, ISBN 2-9509937-2-9 © Teston Michel écrivain , auteur du blog.
Epigrammes
De Augusto
Phoebe, potens numeris; praeses, Tritonia, bellis ; Tu quoque ab aerio praepes, Victoria, lapsu, Come serenatam duplici diademate frontem, Serta ferens, quae dona togae, quae praemia pugnae. Bellandi fandique potens, Augusta honorem Bis meret : ut geminet titulos, qui proelia Musis Temperat, et Geticum moderatur Apolline Martem. Arma inter Chunosque truces, furtoque nocentes Sauromatas, quantum cessat de tempore belli, Indulget Clariis tantum inter castra Camoenis. Vix posuit volucres, stridentia tela, sagittas, Musarum ad calamos fertur manus, otia nescit, Et commutata meditatur arundine carmen : Sed carmen non molle modis ; bella horrida Martis Odrysii, Thressaeque viraginis arma retractat. Exsulta, Aeacide : celebraris vate superbo Rursum, Romanusque tibi contingit Homerus.
Sur Auguste
( Traduction de Corpet)
Phébus, dieu des nombres; Tritonienne, qui présides aux batailles; et toi, Victoire, dont l'aile agile glisse du haut des airs, orne ce front serein d'un double diadème, apporte ces guirlandes qui servent de parure à la toge et de prix à la vaillance. Puissant par les armes et par l'éloquence, Auguste mérite ce double hommage : il a deux titres de gloire, puisqu'il tempère les combats par les Muses, et qu'il corrige, par Apollon, Mars le Gétique. Au milieu des armes et des Huns farouches, et des Sarmates si redoutables au pillage, tout le temps où la guerre repose, il le consacre dans son camp aux vierges de Claros. A peine sa main a déposé les traits ailés et les flèches sifflantes, qu'elle saisit le roseau des Muses : impatiente du repos, elle change d'armes et médite des vers ; mais pas des vers aux molles cadences : elle retrace les horribles guerres de Mars Odrysien, et les exploits de l'héroïne de Thrace. Réjouis-toi, Eacide, un noble poète te célèbre encore, un Homère latin s'est rencontré pour toi.
Contre Eumpina qui avait violé la Foi conjugale
Une femme lubrique avait préparé du poison pour son mari jaloux : craignant que sa dose ne fût pas assez forte pour le faire mourir, elle y mêla suffisamment de mercure, afin que la violence du poison étant redoublée, il opérât une mort plus prompte. Si quelqu'un sépare ces deux choses, chacune des deux fait un poison à part, et sert de contre-poison, si on les prend ensemble. Tandis que les breuvages empoisonnés se débattaient entre eux, cette potion mortelle tourna à l'avantage de l'époux. Les choses passèrent tout de suite par des voies ordinaires. Que les Dieux ont d'attention pour nous! Le trop de cruauté de cette épouse fut avantageux à cet homme, et lorsque les destins le permettent, un double poison ne saurait nous nuire.
A Galla qui commençait à être une vieille fille
Nous vieillissons, vous disais-je, Galla, le temps passe, profitez de vos jours. Une fille chaste est déjà vieille : vous avez méprisé mes conseils. Cette vieillesse que vous ne pouviez pas concevoir est arrivée insensiblement. Vous ne pouvez plus rappeler les jours que vous avez perdus. A présent, vous en êtes fâchée, et vous vous plaignez de n'avoir pas autrefois voulu, ou de ce qu'à présent vous n'êtes plus aussi belle. Accordez-moi cependant vos faveurs, joignez-y les plaisirs passés, accordez-les moi, j'en profiterai, et si je ne possède pas ce que je veux, que je jouisse au moins de ce que j'ai tant désiré.
A mon épouse
Vivons, ma chère épouse, comme nous avons déjà vécu, n'oublions jamais ces noms de tendresse que nous nous donnâmes mutuellement dans le temps de nos premières amours. Qu'aucun jour ne nous voie suivre le goût du siècle ; que vous me regardiez, au contraire, comme si j'étais toujours jeune, et que j'aie pour vous les mêmes égards que j'aurais si vous étiez encore fille. Quoique je sois déjà plus vieux que Nestor (1), et que je jalouse de vivre longtemps, vous surpassez en âge Deiphobé (2), la Sybille de Cumes. Ignorons ce que c'est qu'une mûre vieillesse. S'il est bon de savoir la valeur des années, il ne convient jamais de les compter.
Le petit héritage
Salut ! petit héritage, royaume de mes ancêtres, que mon bisaïeul, que mon aïeul, que mon père a cultivé que m'a laissé mon père enlevé déjà vieux par une mort trop rapide encore. Hélas ! j'aurais voulu pouvoir ne pas sitôt en jouir! Sans doute il est dans l'ordre de la nature qu on succède à son père ; mais, quand on s'aime bien, il est plus doux de posséder ensemble. A moi maintenant les travaux et les soucis : auparavant le plaisir seul était mon partage; le reste regardait mon père. Bien petit est mon petit héritage, j'en conviens ; mais rien ne semble petit quand on vit en paix avec soi-même, et, on peut ajouter, en paix avec les autres.Il vaut mieux, je pense, que la chose obéisse à l'esprit, que l'esprit à la chose. Crésus désire tout, et Diogène rien. Aristippe jette son or an milieu des Syrtes, et tout l'or de la Lydie ne suffit pas à Midas. Qui ne met point de borne à ses désirs, n'en sait point mettre à son avoir. Il n'y a de mesure aux richesses, que celle qu'on impose à sa cupidité. ( Ausone, Idylles )
Mais apprends quelle est l'étendue de mon domaine : tu apprendras ainsi à me connaître, et à te connaître toi-même, si c'est possible. Car cette connaissance n'est pas chose facile, et ce Connais-toi, toi-même que nons lisons si vite, nous l'oublions de même. Je cultive deux cents arpents en terre labourable ; j'ai cent arpents en vignes, moitié en prés, et, en bois, au moins. deux fois autant qu'en prés, en vigne et en labour. Pour la culture de mon champ, je n'ai ni trop ni trop peu d'ouvriers. Auprès, une source, un puits peu profond, et un fleuve limpide et navigable : son flux et son reflux m'amène et me remmène. Je conserve toujours des fruits pour deux ans : qui ne fait pas de longues provisions, sent vite la famine. Ma campagne est située ni trop loin ni trop près de la ville ; j'échappe ainsi aux importuns, et je suis maître de mon bonheur. Et chaque fois que l'ennui me force à changer de place, je pars, et je jouis tour à tour de la ville et des champs.
(Ausone, Idylles)
Ausonii villula
Salve, herediolum, majorum regna meorum, Quod proavus, quod avus, quod pater excoluit ; Quod mihi jam senior, properata morte relinquit : Heheu, nolueram tam cito posse frui! Justa quidem series patri succedere : verum Esse simul dominos, gratior ordo plis. Nunc labor, et curae mea sunt : sola ante voluptas Partibus in nostris ; cetera patris erant. Pararvum herediolum, fateor : sed nulla fuit res Parva unquam aequanimis ; adde etiam, unanimis. Ex animo rem stare aequum puto, non animum ex re. Cuncta cupit Croesus, Diogenes nihilum : Spargit Aristippus mediis in Syrtibus aurum : Aurea non salis est Lydia tota Midae. Cui nullus finis cupiendi, est nullus habendi. ...
(Ausone, idylles)
Extrait du livre de Michel Teston : "De quelques poètes maudits et troubadours" , 2008, ISBN 2-9509937-2-9 © Teston Michel écrivain , auteur du blog.
Ci-dessus vieux portrait d'Ausone.
© teston dessin
A Sylvia
Elle était entrée dans ma solitude
Par une nuit de septembre
Elle avait frappé à ma porte
Battue par l'orage et la pluie
Elle avait quitté son foulard
Déployé ses longs cheveux
Et son visage et ses yeux
Semblaient mouillés de larmes...
D'un air pitoyable d'amour
Elle avait mes yeux regardé
Me demandant l'hospitalité.
Pour toute réponse
Je l'avais embrassée dans toute sa fraîcheur
Et son parfum.
Elle s'était déshabillée
Et montée se réchauffer au premier étage,
Pensive, assise près de la bougie...
Je ne pouvais m'empêcher de la regarder,
Etonné, ne trouvant rien de beau à lui dire.
Elle mit ses mains près de la flamme
Me regarda avec amour
Et vint plus près de moi, plus près, encore plus près
Alors je la pris dans mes bras
La soulevant du sol
Et je la mis dedans mon lit...
Dehors, la pluie tombait à verse
Et l'éclair la faisait trembler
O comme je l'aimais
O quelle nuit on a passé !
Elle, blottie entre mes bras
Moi, tout entier l'aimant...
Quand l'orage cessa et que le jour parut
Elle ne voulut pas repartir
Je m'appelle Sylvia, alors, me dit-elle
Et depuis Sylvia ne me quitte plus.
© Michel Teston
"Romantica" 2000, ISBN 2-9509937-1-0
Dessin, poème et interprétation de l'auteur.
Jean de la Croix
     (1542-1591)
Voilà un poète génial et aussi un saint. De très humble origine, il est né à Fontiveros, en Vieille Castille. D’abord infirmier à l’hôpital de Medina, il entre au Carmel, en 1563. Il rencontre Thérèse d’Avila, qui a vingt-sept ans de plus que lui et qui travaille déjà à la réforme du Carmel divisé en "mitigés", partisans d’un adoucissement, voire d’une dépravation du couvent, et en "déchaussés", partisans d’un retour aux sources. Comme Thérèse, côté féminin, il va donc essayer de réformer le Carmel, côté masculin. Mais en cette époque d’Inquisition, cela le conduira en prison, pendant neuf mois. Puis il s’évadera, grâce à Marie, pour laquelle il a un grand culte. C’est surtout par rapport à ces neuf mois de prison qu’il écrira ses plus beaux poèmes, notamment : Le Cantique Spirituel, inspiré du Cantique des Cantiques de la Bible, La Montée au Carmel, La Vive Flamme et La Nuit Obscure (ci-dessous) : la nuit de la prison s’identifiant à la nuit de l’âme et à la condition humaine. Mais comme chez Thérèse, la spiritualité semble parfois rejoindre la sensualité par l’extase et la joie. C’est ce côté deuxième ou troisième degré qui, selon moi, fait de lui un poète génial, autant qu’un saint. Sorti de prison, Jean de la Croix voyage, fonde des monastères par ses hautes fonctions au sein du Carmel, prêche la parole de Dieu.
Mais atteint d’une douloureuse maladie il meurt au couvent d’Ubeda, à seulement quarante-neuf ans.
Nuit obscure
Noche oscura
Par une nuit profonde,
En una noche oscura,
Enflammée par des angoisses d'amour,
Con ansias en amores inflamada,
Oh ! l'heureuse aventure !
Oh! dichosa ventura!
Je suis sortie sans étre vue
Sali sin ser notada
Ma demeure étant déjà en paix.
Estando ya mi casa sosegada.
Dans les ténèbres et en sûreté,
A escuras y segura,
Je sortis par l'escalier secret,
Por la secreta escala disfrazada,
Oh ! l’heureuse aventure!
Oh! dichosa ventura!
Dans les ténèbres et en cachette,
A escuras y en celada,
Ma demeure étant déjà en paix.
Estando ya mi casa sosegada.
En cette heureuse nuit,
En la noche dichosa,
Dans le secret afin que personne ne me voie ,
En secreto, que nadie me veia,
Et je ne voyais rien d'autre
Ni yo miraba cosa,
Pour me guider, que la lumière,
Sin otra luz y guia,
Qui brûlait dans mon coeur.
Sino la que en el corazon ardia.
Elle me guidait plus sûrement
Aquesta me guiaba
Que la lumière du midi,
Mas cierto que la luz del mediodia,
Là où m'attendait
A donde me esperaba
Celui que je connaissais bien,
Quien yo bien me sabia,
Là où il n'y avait personne.
En parte donde nadie parecia.
O nuit qui m'avez guidée !
Oh! noche que guiaste!
O nuit plus aimable que l'aurore !
Oh! noche amable mas que el alborada!
O nuit qui avez uni
Oh! noche que juntaste
L'amant avec l'amante,
Amado con amada,
L'amante en amant transformée!
Amada en el amado transformada!
Sur mon sein fleuri
En mi pecho florido,
Que je gardais vierge pour lui seul,
Que entero para el solo se guardaba,
Là, il s'endormit,
Alli quedo dormido,
Et moi je le caressais,
Y yo le regalaba,
Et l'éventail des cèdres nous aérait.
Y el ventalle de cedros aire daba.
L'air de la brise
El aire de la almena,
Quand je lui écartais moi-même ses cheveux!
Cuando yo sus cabellos esparcia,
De sa douce main
Con su mano serena
Il me serrait le cou,
En mi cuello heria,
Et tous mes sens il transporta.
Y todos mis sentidos suspendia.
Je restai là et je m'oubliai,
Quedéme y olvidéme,
Le visage penché sur mon bien-aimé,
El rostro recliné sobre el amado,
Tout s'arrêta, et je m'abandonnai
Ceso todo, y dejéme,
Laissant tous mes soucis
Dejando mi cuidado
Je m'oubliai parmi les lis.
Entre las azucenas olvidado.
( Jean de la Croix )
(Traduction de Michel Teston)
© teston photo Michel à 3 ans et 1/2
Mémoires d'autiste (Tramontane Michel) pseudonyme Teston Michel, 2008, ISBN 29509937-3-7
Retour à la terre (chapitre VII)
Ah! je m'en souviendrai de ce maudit jour entre tous où on m'emmena ici, pas seulement comme les autres fois, pour les vacances, mais cette fois pour la vie.
Quel déménagement! J'étais malade comme un chien dans le camion : un véritable ma lde mer... Tous ces tournants qui n'en finissaient pas! Mais où allait-on donc ? Pour finir, le gros camion prit une toute petite route, pas même goudronnée, où il était impossible de croiser quelqu'un. Dieu merci! on ne rencontra pas d'autres voitures. Il faut dire qu'en ce temps-là, peu de gens avaient une automobile, surtout dans des campagnes aussi reculées. J'étais tellement malade dans ce camion secoué par les trous, les bosses, les pierres et les tournants, et dont la cargaison elle-même n'en finissait pas de tanguer et de ballotter, que l'idée me vint de sauter en marche du camion. Cette idée ne me quittait pas de tout le trajet et m'obsédait, tant je me sentais mal... Mais quand arriverait-on enfin ?
Allais-je vomir ou pas ? J'étais blême, tout pâle, tout blanc, et le voyage durait depuis plus de deux heures. Le chauffeur, une brute, ne faisait évidemment pas le moindre cas de moi. Il parlait comme si de rien n'était avec mes parents. Nous étions au moins cinq dans la cabine avancée du camion : le chauffeur et son adjoint, le païré, ma mère, et moi-même qui avais une dizaine d'années. Je me souviens que pour essayer de me consoler je pensais à mon chat, encore plus mal loti que moi : le pauvre, on l'avait mis dans un panier d'osier où on l'avait mis de force, et on avait refermé le panier, véritablement verrouillé par un bâton amovible fait exprès pour ça. J'espérais pouvoir au moins tenir le panier sur mes genoux dans la cabine du camion. Mais le chauffeur, cette brute épaisse, l'avait mis derrière avec les meubles au milieu de tout un bric-à-brac...
Mon pauvre chat! Non seulement il devait avoir lui aussi le mal de mer, mais en plus, dans son panier, il ne pouvait pas faire le moindre mouvement. De quoi devenir fou de douleur, de quoi faire une crise de claustrophobie!
Enfin on arriva... Pas plus tôt descendu de ce maudit camion où j'étais si malade, je me sentis infiniment mieux. Le calvaire était fini! Maintenant , c'était sûr, je ne vomirai plus. La digestion allait reprendre son cours. Les couleurs me revenaient déjà au visage, tant j'étais content d'être enfin sorti de ce maudit camion.
- Maman, maman! le chat est derrière, il doit s'étouffer. Va vite le sortir! donne-le moi!
Le chauffeur regarda ma mère d'un air entendu, comme s'il se moquait de moi. Mais ma mère sortit tout de même le panier du camion et me le donna.
- Tiens! le voilà, ton chat... Mais surtout n'ouvre pas le panier car il t'échapperait, il se perdrait et tu ne le retrouverais plus.
- Mais alors, qu'est-ce qu'il faut faire ? Demandai-je.
- Il faudra patiemment le dresser à rester ici.
- Quand le sortira-t-on du panier ?
- Ce soir, peut-être, quand on aura fini de déménager et que les portes de la maison seront bien fermées...
Je pris alors le panier de mon chat qui ne cessait de miauler, et je me mis à l'écart, laissant les hommes décharger le camion rempli de meubles.
C'est donc dans cette vieille ferme perdue au flanc de la montagne qu'on allait habiter maintenant? me demandai-je, en regardant le pays où nous étions arrivés.
Finie la petite ville! finis les copains! on repartait à nouveau à zéro! car je me souvenais du précédent déménagement de mes parents, quelques années plus tôt : il avait déjà fallu tout quitter et cela avait été dur.
A présent, j'étais à l'intérieur de la maison. Ma mère arrosait le sol avec une bouteille d'eau et balayait la poussière...
- L'armoire à glace, vous la mettrez ici dans ce coin, disait-elle aux déménageurs.
- Quelle est cette odeur ? dit soudain quelqu'un, on dirait de l'eau-de-vie ?
- Mais madame, dit le déménageur, à ma mère, vous ne voyez pas que vous arrosez lesol avec une bouteille d'eau-de-vie ?
- Ah! bon ? dit ma mère, et elle renifla l'odeur de la bouteille.
Effectivement, ce n'était pas de l'eau pure, mais une bouteille de gnole qui traînait dans la maison et que le propriétaire précédent avait laissé là, on ne savait pourquoi.
Tout le monde se mit à rire.
Les voisins étaient déjà venus en renfort. Il faut croire que ce n'était pas le désert complet, dans ce pays où on arrivait quand même à avoir des voisins! L'arrivée des Fraisson, aujourd'hui, c'était le grand événement du quartier... D'ailleurs, pour les voisins, le père Fraisson, le païré, était un enfant du pays...
Ils parlaient en patois avec le païré et ma mère, patois auquel je ne comprenais quasiment rien. Ils semblaient se connaître depuis toujours, alors que moi je ne les avais jamais vus de ma vie.
Quelle touche, ils avaient, ces braves gens! Des bleus de travail, complètement délavés, rôtis, blanchis, raclés par l'usure et le soleil, et rapetassées par dessus le marché! Ils avaient une casquette sur leur tronche avec un air de montagnard rougeaud.
A l'école, en Ardèche, on appelait ces gens-là des pageots, des pacoulins ou des padgellasses, c'est-à-dire des paysans du Plateau ardéchois qui avaient mauvaise réputation. On pensait, à tort, bien entendu, que les gens du Plateau étaient des arriérés, des gens méprisables. Ils faisaient honte à tout le monde. En ville, c'est-à-dire du côté d'Aubenas, en patois Ooubénasse, on les reconnaissait de loin, à cent mètres, sinon à un kilomètre.
Même mes professeurs en soutane se moquaient sans cesse d'eux et des paysans. Entre deux phrases ou deux démonstrations de mathématiques, ils avaient toujours des réflexions de ce genre:
- N'importe quel imbécile peut comprendre ça... Si vous ne comprenez pas ça, il ne vous reste plus qu'à garder les moutons...
Je n'étais pas fier, car moi, justement, je gardais les moutons à toutes les vacances...
Si on était fils de paysans, il ne fallait pas s'en vanter à l'époque... Quelle honte!...
Eh bien! cette fois, on en avait pour notre déplacement! Il n'y avait plus rien à dire. On était ici en pleine pacoule, le pays des pageots, et les padgélasses, c'étaient nous!
La journée se termina dans la fatigue, l'agitation et le surmenage. Pour achever cette journée mémorable, ma mère me montra un lit en fer, un lit sans suspension aucune. Le matelas était une authentique paillasse, c'est-à-dire un sac rempli de paille. Elle mit cette paillasse sur mon lit avec un drap et une couverture en me disant:
- Tu coucheras là!
Je regardai ma mère dans les yeux, et voyant qu'elle ne se moquait pas de moi, qu'elle ne manquait pas de sollicitude, je m'étendis aussitôt sur le lit, résigné et un peu étonné devant l'aspect rudimentaire et ancestral de ce lit. Mais à la guerre, comme à la guerre, je n'avais pas le choix, de toutes façon. Le lendemain, ce n'est pas le chant du coq qui me réveilla mais les hi-han puissants de l'âne qui était couché juste au-dessous de moi dans l'étable. J'eus de la peine à me reconnaître au réveil. Depuis hier matin que de choses avaient changé dans mon environnement! Plus rien n'était pareil! Les bruits familiers de la petite ville avaient disparu. Ici, c'était le silence éternel, ponctué seulement, de temps en temps, de cris de bêtes, d'oiseaux, ou même de parents ou de voisins. Les odeurs aussi avaient changé. Ici, c'était le plancher des vaches. Il y avait des odeurs de fumier ou de bouc, toutes ces odeurs caractéristiques de la ferme, et puis aussi, l'odeur envahissante des foins auquel j'étais allergique, sans le savoir encore. J'en éternuais déjà. J'avais sans doute attrapé déjà un bon rhume des foins.
Après un petit déjeuner de fortune avec du lait de pays auquel ma mère tenait tant, mais que moi je n'appréciais pas vraiment, je me mis à faire le tour du propriétaire dans la beauté du soleil levant, en ces jours de la fin du mois de juin et du début des grandes vacances. Quelle forêt tout autour de la maison! Des châtaigniers, encore des châtaigniers, toujours des châtaigniers... Et c'était plein d'épines ces machins-là! Et il y avait aussi plein de ronces et de buissons en tous genres, plein de broussailles, de genêts et de fougères, le tout bourré de lézards à chaque pas qu'on faisait, ou même de serpents effrayants... C'est à peine si on voyait quelques autres arbres près du ruisseau, des cerisiers, des pommiers, des frênes, des pins, des peupliers, etc. Mais où étaient donc passés les petits copains d'hier, mes voisins de pallier avec lesquels je jouais aux billes dans la cour, avec lesquels on faisait des parties de gendarmes et de voleurs, avec lesquels on faisait de l'escrime à coups d'épées de bois?
- Je serais d'Artagnan, tu serais Aramis. Et toi, avec ton arc, tu serais Robin des Bois, et toi enfin tu serais Zorro... Et maintenant, les gars, si on jouait aux cow-boys et aux Indiens?...
Hélas! plus rien de tout ça! Le hameau était vide, désespérément vide de gens et surtout d'enfants de mon âge, et c'est là qu'on allait vivre!
Après un petit viron, une première petite virée matinale, je me souviens que je rentrais à la maison en disant:
- Maman, maman...
- Quoi, mon petit? Qu'est-ce qu'il y a?
- Je m'ennuie ici... Qu'est-ce que je m'ennuie...
Ma mère demeura sans réponse. Et je passai toute la journée avec ma mère à éplucher des patates, des carottes ou des haricots et à faire toutes sortes de corvées...mais des copains, je n'en avais plus, je n'en aurais plus jamais à la maison!
A mon réveil, j'entendis un bruit de casserole dans la cuisine mitoyenne. C'était ma mère qui préparait le petit déjeuner, comme elle a toujours su si bien le faire tout au long de sa vie. Bien emmitouflé dans mon lit de fer, sur ma paillasse, à demi réveillé, j'entendais les moindres faits et gestes de ma mère. Là, elle ouvrait le placard grinçant pour prendre du café en grains, puis elle ouvrait le buffet de campagne pour prendre le moulin à café, elle vidait les grains dans le moulin et elle se mettait à le tourner à la main pendant que l'eau chantait ou bouillait dans les casseroles qui étaient sur le fourneau.
- ça y est! elle a fini de moudre, pensai-je.
Elle devait mettre la poudre dans la grande cafetière en fer émaillée de blanc que j'ai vue toute ma vie. Et l'eau chaude commençait à filtrer lentement, cependant qu'un parfum de café se répandait dans l'atmosphère. Je sens qu'il est temps de me lever, pensai-je égoïstement, le café au lait est prêt et j'ai faim.
Sur la table, je trouvais alors, après m'être levé, du pain et du beurre, une boîte en fer pleine de sucre, un bol, un couteau, une petite cuillère... Savoir s'il y aurait de la confiture aujourd'hui ? Pourrait-on en manger ?...
Et le chat ? Que devenait mon chat ? Cette préoccupation dépassa soudain toutes les autres.
- Où est le chat ? demandai-je à ma mère, il n'est pas sorti ?
- Il est toujours dans le panier où on l'a remis hier soir pour pas qu'il s'en aille.
- Encore dans le panier ? dis-je scandalisé.
- J'attendais que tu te lèves pour le sortir.
Je me précipitai sur le panier d'osier et je tirai le bâton pour libérer le chat qui fit un bond de joie. Le pauvre! il devait être tout courbaturé.
- Donnons-lui un peu de lait de notre vache, dit ma mère.
Elle mit une goutte de lait dans une vieille assiette fêlée et la donna au chat qui, affamé, se mit à lever la queue de joie et à laper le lait avec sa fine languette.
- Je crois qu'il s'adaptera bien ici, dit ma mère, il sera mieux ici qu'en ville. On va le garder dedans pendant deux ou trois jours avant de le laisser courir dans le jardin ou autour de la maison.
J'étais content de voir manger mon chat.
- Et maintenant, bois ton café au lait qui se refroidit, dit ma mère.
A ce moment-là mon frère aîné, le Mariussou, entra soigneusement pour ne pas laisser partir le chat.
- Le Michélou ne va pas garder les moutons aujourd'hui ? dit-il.
- Si! il ira répondit ma mère, quand il aura fini de déjeuner.
- Quels moutons ? dis-je.
- Eh! bien, tu sais bien que l'oncle Gustou garde les moutons qu'on a achetés pour le Mariussou, il y a quelques jours ? Tu iras les garder maintenant, dit la maman.
- Les garder ? Mais je ne l'ai jamais fait!
- Ce n'est pas bien compliqué! L'oncle Gustou t'attend, il te montrera. Il est en train de les sortir... Il te montrera aussi les limites car il ne faut pas garder sur les terres des voisins...
Et à partir de demain c'est toi qui garderas le troupeau pendant les vacances... Il faut bien que tu te rendes utile!
Bon gré, mal gré, j'acceptai sans rechigner mais sans le moindre enthousiasme. Je n'avais vraiment pas envie de garder les moutons. Et la suite prouva bien que je m'ennuyais à mourir à regarder ces bêtes manger toute la journée. Et pourtant, ce fut bien ma principale occupation chaque fois que j'avais quelques jours ou quelques mois de vacances. Il faudrait bien que je me fasse à cette idée...
- Maman, répétais-je, le soir en rentrant, et plusieurs jours de suite, je m'ennuie ici dans ce pays... qu'est-ce que je m'ennuie!
Ma mère ne comprit pas ma détresse. En fait, mes malheurs ne faisaient que commencer...
Eno puto dé vido, une vie de chien, m'attendait ici, dans ce maudit pays perdu...
© Mémoires d'autiste, Michel Tramontane, 2008, ISBN 2-9509937-3-7 (Chapitre VII).
Phobie
Quand la mer se retire
Au soleil de midi
Quand sous les alizés
Elle monte lécher nos pieds entrecroisés
Quand la mousse écumeuse
Vient pétiller sur les galets
Et quand l’embrun fait frissonner nos chairs
Sous les soleils...
Quand la mer monte, monte, monte jusqu’à nos pieds
Et qu’elle se retire
Et qu’elle se retire...
Quand la mer se retire
Alors mon coeur se serre
Devant le vide qui s’agrandit
Et je m’agrippe à toi dans mon vertige...
Quand la mer revient à nous en rugissant
Menaçant de nous engloutir
Mais nous léchant les pieds
Quand elle monte, monte, monte jusqu’à nous
Alors, je sens renaître en moi des forces inconnues
Et je respire à pleins poumons
Et je vis pleinement puisque j’oublie de vivre.
Est-ce cela la vie
Est-ce cela la mort
Une alternance entre le flux et le reflux
Comme si l’on ne pouvait pas séparer l’un de l’autre
Comme si l’on ne pouvait vivre Qu’en craignant de mourir ?
Maintenant nous vivons
Quand la mer monte, monte, monte jusqu’à nos pieds
Et bientôt nous mourrons
Quand la mer se retire
Quand elle se retire
Quand elle se retire...
© Michel Tramontane
"Poèmes Méditerranéens" 1968, ISBN 2-9501967-0-5
et Romantica (Michel Teston) ISBN 2-9509937-1-0
Ci-dessous interprétation audio-musicale par l'auteur de "Phobie".
© teston (photo)
© Ci-dessus photo de l'auteur
et ci-dessous sa vidéo du poème: "Comme une mer".
© teston (vidéo)
Comme une mer...
O mon amour tu es comme une mer
Eclatante et bruyante sous un soleil d'été
Comme une mer mystérieuse et souverainement belle...
Quelle est donc la beauté étrange
De la mer sur le rivage?
Cette image comme toi me poursuit
Partout où je vais.
Je vois toujours la mer vaste et simple
Arriver dans un cri sur le rivage
Son écume incandescente étincelle sous le soleil
Et les dernières gouttes tombent en douceur
Sur l'épaisseur du sable chaud...
O mystère de la Création
Mystère du monde
Quelle est donc la beauté étrange
De la mer sur le rivage?
Il semble que ces quelques secondes
Passées sur la plage
Soient une éternité de bonheur
Il semblerait qu'on puisse vivre
Eternellement sans s'ennuyer
A ne voir que la mer plate et unie
A peine agitée par quelques vagues
Finir son cours sur le sable chaud...
La mer est l'harmonie de l'homme avec le monde
La mer est l'harmonie de tout ce qui est amour.
O mon amour, quelle est donc la beauté étrange
De la mer sur le rivage ?
De la mer qui efface le souvenir
Comme le signe du poisson sur le sable
Et qui nous fait rejoindre
L'intemporalité du temps passé, présent et avenir?...
© Michel Teston
"Vox clamantis in deserto" 1978, ISBN 2-9501967-2-1 et "Romantica" 2000, ISBN 2-9509937-1-0
© teston photo près des cerisiers en fleurs.
Témoignage d'un écrivain poète
par Michel Tramontane, pseudonyme Michel Teston
Mai 68 reste pour moi un très bon souvenir, du genre "mais il est bien court le temps des cerises" voyez-vous?
En effet, j'étais étudiant salarié ( à l'époque c'était très rare et c'était une mission impossible, vu qu'on n'avait aucune facilité au niveau des employeurs et qu'on ratait donc tous les cours d'office, sauf, éventuellement, un rare cours alibi du soir où tous les étudiants snobs et non salariés se précipitaient).
Bien qu'Ardéchois, j'étais donc gardien dans les bibliothèques universitaires de Nice, université qui venait juste d'être créée en 66. Donc, lorsque les événements qu'on sentait venir à cause d'une société trop autoritaire et quasiment fascisante, brimant la jeunesse, par la religion ou la guerre, etc. lorsque ces événements, dis-je, sont arrivés, j'étais très bien placé pour les voir et même y participer. Un vendredi soir, sans avertissement, dix millions de gens se mirent en grève. Je me souviens d'un défilé de plus de 100 000 personnes dans la rue principale de Nice. Pendant trois semaines ce fut la grève totale, tout était fermé. Les banques bloquées, je n'avais plus un sou et j'ai dû ma survie à la caisse noire que mes collègues bibliothécaires avaient constituée.
Tous les jours il y avait des assemblées générales dans les amphis. Ce fut un bouillonnement d'idées extraordinaire. J'étais trop timide pour prendre la parole, mais je n'en perdais pas une. J'ai vu des éudiants qui avaient un génie oratoire extraordinaire et qui étaient de véritables réincarnations de Robespierre, Danton, Marat ou Mirabeau. On était en lien direct avec Paris, grâce à la Caravelle qui mettait Nice à une heure de Paris. Tous les jours, des étudiants faisant la navette, nous tenaient au courant de ce qui se passait aussi dans la capitale.
Je me souviens qu'un jour un professeur mandarin fut jugé et condamné en plein amphi par ses propres étudiants. Cela avait quelque chose de pathétique car ce prof de psychologie était par ailleurs un journaliste réputé et un ancien colonel. Un étudiant transformé en Fouquier-Tinville n'en finissait pas de porter des accusations contre lui. Le prof resta digne et muet sous les accusations. Il avait perdu un bras, peut-être à la guerre. C'était vraiment étonnant de voir une pareille contestation. Heureusement pour lui il n'a pas été conduit à l'échafaud! Mais sur ce plan Mai 68 avait un côté révolutionnaire qui parfoisfaisait froid dans le dos.
En dehors des spontanéistes qui n'étaient pas structurés, les étudiants les plus actifs, à Nice en tout cas, furent les trotskystes qui étaient notoirement anticommunistes, antistaliniens et antigaullistes.
Les filles ne prenaient pas la parole dans les amphis, tellement il fallait être bon orateur, avoir la voix puissante, et une sorte de passion, de rage, de folie parfois dans le regard, qu'on ne risque pas de voir aujourd'hui à l'Assemblée nationale, mais elles étaient là, elles s'habillaient souvent de rouge et servaient d'égérie ou de Pasionaria.
On a dit qu' à la fin mai De Gaulle avait repris les choses en main, mais je ne l'ai pas ressenti comme ça sur le terrain. En fait, à la fin mai, tout le monde en avait marre de la grève : plus d'argent, plus d'essence, plus de voitures, des monceaux de poubelles de partout au milieu des plus belles avenues... On s'est tous remis volontiers au travail. Je me suis presque retenu pour ne pas aller moi-même à la grande manifestation prétendûment gaulliste de la fin mai 68 tellement j'étais content, après trois semaines de vacances, de reprendre mes activités normales; pour moi il s'agissait de reprendre le travail et de remettre un peu d'ordre dans tout...
Croyez-vous qu'on a retranché alors trois semaines de grève sur mon bulletin de paie? Pas du tout, on a tous eu une paie normale comme si on avait travaillé, encore mieux que ça, dans le mois qui a suivi, mon salaire est brusquement passé de 630 F à 780 F, soit une augmentation d'à peu près 25% : on ne risque pas de voir ça aujourd'hui non plus !
Entre deux manifs et deux A.G. je rédigeais un petit livre commencé avant mai 68, continué pendant les événements, achevé en juin, puis tapé au propre pendant mes grandes vacances. Je l'avais intitulé: "Zarathoustra 68, le révolutionnaire".
C''était une politique-fiction qui s'en prenait humoristiquement au culte de la personnalité, au pouvoir personnel, à la paranoïa politique, etc. Mais je pense qu'on m'a toujours censuré hypocritement ce livre, et tous les autres d'ailleurs... certains journaux, certaines radios, certains imprimeurs, etc. Je n'ai jamais trouvé d'éditeur de toute ma vie. Je l'ai publié, comme les autres, à mes frais, trente ans après. Mais je n'ai jamais trouvé de distributeur non plus, étonnant, non ?
J'ai toujours quelques exemplaires chez moi. Contestataires nous étions en 68, il aurait mieux valu dire peut-être: dissidents, et persécutés comme tels toute notre vie...
Après mai 68 je me suis fait muter à Paris car j'y croyais encore et aussi j'aurais voulu réussir comme écrivain et poète . C'est là que je fis ma maîtrise sur Lautréamont sous la direction de Julia Kristeva. A Paris, les manifestations étudiantes ont encore fait rage pendant quelques années pour finalement disparaître peu à peu.
Je suis alors revenu en Ardèche comme prof, et là je me suis aperçu que même les gamins étaient devenus inconsciemment des contestataires soixante-huitards... Mai 68 avait profondément changé les mœurs... Rien n'était plus pareil...
© Michel Teston, écrivain, poète, pseudonyme Michel Tramontane.
LE TEMPS DES CERISES
1
Quand nous en serons au temps des cerises,
Et gais rossignols, et merles moqueurs
Seront tous en fête
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux, du soleil au cœur.
Quand nous chanterons le temps des cerises,
Sifflera bien mieux le merle moqueur.
2
Mais il est bien court, le temps des cerises
Où l'on s'en va deux, cueillir en rêvant
Des pendants d'oreilles...
Cerises d'amour aux robes pareilles,
Tombant sous la feuille en gouttes de sang..
Mais il est bien court, le temps des cerises
Pendants de corail qu'on cueille en rêvant.
3
Quand vous en serez au temps des cerises
Si vous avez peur des chagrins d'amour,
Évitez les belles.
Moi qui ne crains pas les peines cruelles,
Je ne vivrai point sans souffrir un jour...
Quand vous en serez au temps des cerises
Vous aurez aussi des peines d'amour.
4
J'aimerai toujours le temps des cerises
C'est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte...
Et dame Fortune en m'étant offerte
Ne pourra jamais fermer ma douleur...
J'aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur.
(Jean-Baptiste Clément)
(Et merci à Jean-Baptiste Clément, soixante-huitard d'un autre siècle!).
Post scriptum (juillet 2020) : ma dernière reprise du temps des cerises vidéo et audio, avec mon harmonica de cette célèbre chanson (voir aussi mon ancienne version 2014 sur ma page youtube°.
Bonne écoute.
Juste ce petit entr'acte entre mes livres, mes articles et mes poèmes pour laisser la place à vos commentaires ou réflexions si vous le voulez bien... Voici un autre de mes poèmes, extrait de mon recueil: "Vox clamantis in deserto" Michel Teston.
Le soleil se lèvera demain
Qu'il fasse beau qu'il pleuve ou qu'il vente
Qu'il neige ou qu'il grêle
Que ce soit le calme plat
Que ce soit la tempête
Qu'il fasse chaud, qu'il fasse froid
Le soleil se lèvera demain.
Que l'aurore soit morne ou sans éclat
Ou qu'elle soit tapissée
De mille et une couleurs
Que ce soit la guerre ou la paix
La naissance ou la mort
L'hiver ou l'été
Le soleil se lèvera demain.
Ne t'inquiète pas, mon amour
Endors-toi calmement près de moi
Oublie-toi contre mon coeur
S'il fait froid, réchauffe-toi contre moi
Fais confiance en l'avenir
Fais confiance en notre amour
Endors-toi dans la paix
Le soleil se lèvera demain.
Tu peux être sûre de ton amour
Tu peux être sûre de ton bonheur
Demain tu seras heureuse
Quoique tu fasses
Tu peux t'abandonner contre le coeur de ton amour
La main qui te protège veille sur ton bonheur
Le soleil se lèvera demain.
Ne t'impatiente pas
Ne te révolte pas contre la vie:
Demain tu auras tout ce que tu veux aujourd'hui
Prends patience
Regarde, la lune s'est déjà couchée
Regarde, la nuit douce a déjà commencé
Elle marche et ses pas annoncent déjà
La venue du soleil...
Sois calme, mon amour
Qu’il fasse beau, qu’il pleuve ou qu’il vente
Le soleil se lèvera demain.
© Michel Teston écrivain
Ci-joints: dessin de couverture de "Romantica" par l'auteur, et en audio, le poème: "Le soleil se lèvera demain", extrait de "Vox clamantis in deserto" 1978, ISBN 2-9501967-2-1 et de "Romantica", 2000, ISBN 2-9509937-1-0
Voir aussi mes vidéos de poèmes en musique et de chansons sur ma page: Michel Teston youtube.
© teston photo
Journal et
pensées d'un jeune poète des années 60(Michel Teston)
(2010) ISBN 2-9509937-5-5 © Teston Michel
Ceci est ma dernière publication imprimée. Le tome II est fini et ne sera peut-être jamais publié en dehors de ce site, car je viens de rencontrer un problème qui me déprime profondément en ce qui concerne la suite de ma carrière d'écrivain: on m'a jeté, par erreur, il y a quelques années, sans que je m'en aperçoive avant, les manuscrits originaux de "Journal et pensées" que j'avais entreposés, avec de vieux bouquins et autres paperasses, dans un grenier familial lors de mes séjours prolongés loin du pays. C'est surtout la période de mes années parisiennes qui a disparu...
Voici quand même des extraits du tome I. Avec une photo et un poème, comme d'habitude...
Pensées
Les grandes choses naissent d’un agrégat de petites choses.
La mort des proches: ce n’est plus la mère, le père, la femme, la soeur, le frère, l’ami, le camarade qui sont morts, c’est une part de soi-même.
C’est une porte qui nous est dorénavant fermée, et ça aussi ça nous rend malheureux.
C’est Montaigne, je crois, ou peut-être Montesquieu qui dit: "Si je savais que je ne peux pas aller en quelque coin perdu des Indes j’en vivrais un peu plus affligé car je retirerais que cela enfreint à ma liberté".
On apprécie davantage quelque chose lorsqu’on l’a perdue, ou encore quand on a failli la perdre, comme la vie, par exemple.
Car il faut perdre pour apprécier. Celui qui ne perd pas, autrement dit celui qui s’attache trop aux biens de la terre, finit paradoxalement par ne plus les apprécier, alors même qu’il voudrait faire le contraire, et je crois que pour bien jouir des biens de la terre, il ne faut pas craindre de savoir s’en détacher, au besoin.
Si paradoxal que cela puisse paraître je suis plus inconnu à mes yeux qu’aux yeux des autres.
C’est par le paradoxe qu’on étonne, qu’on fait rire.
Il ne faut pas avoir peur de recourir aux solutions extrêmes, car c’est comme ça qu’on aboutit.
Les philosophes n’étant jamais parfaits, ils ont tous fait des erreurs de jugement, mais chez eux tous réunis se trouve incontestablement la vérité: à nous et à Dieu de faire le tri.
L’ordre, c’est propre à soi-même.
Ainsi, il faut faire attention, car nos plus grands défauts, ce sont ceux qu’on prend pour de petits défauts, ou ceux qu’on ignore carrément.
Autrui voit mieux nos défauts que nous-mêmes, et moins bien nos qualités, semble-t-il.
Je pense qu’on est plus souvent distrait et rêveur que véritablement paresseux.
Ne pas faire son travail, c’est peut-être de la paresse, mais si on fait un autre travail qui nous plaît et auquel on s’adonne, ce n’est plus que de la distraction volontaire de poète.
La vraie et seule paresse, c’est plutôt l’oisiveté.
Les poètes sont des distraits qui font autre chose, mais ce ne sont pas des oisifs.
En prenant toujours le bon côté de ses erreurs, un homme adroit et intelligent sait toujours se justifier parce qu’il étudie toujours le pourquoi de toutes ses actions, et lorsque celles-ci ne sont pas très bonnes il sait très bien les justifier.
Un défaut combattu n’est pas fâcheux car tout le monde sait que chacun a ses défauts. Soi-même, on sait bien qu’on a des défauts. Si on les avoue on n’en est que plus estimé, contrairement à celui qui, ayant un grand défaut, l’ignore, ne le confesse pas, ou ne croit voir là qu’un tout petit défaut sans importance, pire encore, il est sûr que son défaut est sa meilleure qualité.
On combat ses grands défauts par les petites qualités qui en découlent. Un défaut est un vrai défaut lorsqu’on n’a rien en soi qui le combatte, lorsqu’il n’est pas contrecarré par ces petites qualités.
Pour trouver nos défauts, étudions donc nos qualités ou plutôt ce que nous croyons être nos qualités.
Mais que cherchent-ils donc, les hommes, dans leur miroir, car, à quatre-vingts ans ils n’ont pas encore trouvé!
Dieu voulut que même les méchants aient un besoin d’aimer, et c’est pourquoi on ne les reconnaît même pas au milieu des bons.
Même les dictateurs les plus sanglants ont encore un petit air sympathique!
Ce qui est marrant, c’est de voir que les méchants sont toujours intelligents, cependant que le simple d’esprit, le naïf, le petit enfant sont, eux, toujours bons.
Les trouvailles mûrissent inconsciemment dans le cerveau, encore faut-il savoir y adjoindre un arrosage nécessaire.
Le méchant sait qu’il est méchant et s’en aperçoit continuellement, mais sans avoir le courage d’y remédier, car c’est aussi un lâche.
La lâcheté et la faiblesse, quelles plaies!
Peut-être que, par une sorte d’instinct divin, on n’aime pas les méchants qui, hypocritement, demandent à être aimé.
Si je me dégoûte, c’est parce que je m’aime, si je m’aime, c’est parce que je suis égoïste; alors, on ne sait donc pas qu’est-ce qu’il vaut mieux: s’aimer ou se haïr.
Je me demande si la bonté n’engendre pas la méchanceté et si, finalement, le bon n’est pas le méchant. C’est étrange de voir à quel point le bien et le mal sont bien imbriqués.
Une preuve de ce que la formule de l’art pour l’art est assez utopique, c’est qu’on préfère bien souvent éplucher un grand auteur et lire même ses plus mauvais poèmes pour mieux le connaître, plutôt que de lire les plus beaux poèmes d’un auteur soi-disant secondaire.
Là encore, on se demande parfois quelle est la différence entre le beau et le laid.
On hait souvent les hommes parce qu’ils nous ressemblent: dès lors qu’il n’y a plus de mystères et qu’on lit dans le jeu d’un homme, on est alors vite tenté soit de l’aimer soit de le haïr.
© Michel Teston, 2010 ( Extrait de "Journal et pensées d'un jeune poète des années 60")
Ci-dessous mon poème audio: "Destin".
Baudelaire poète maudit Michel Teston
Texte extrait du livre de Michel Teston :"De quelques poètes maudits et troubadours"
ISBN 2-9509937-2-9 (2008)
Charles Baudelaire
( 1821-1867 )
Et voici un des plus grands poètes du monde et de l’histoire, "le roi des poètes, un véritable Dieu" comme disait Rimbaud lui-même. Le poète dandy de Paris, mais cependant amoureux de la nature et nostalgique de la mer et du voyage. Le type même du poète maudit, en somme, celui à qui on fait un procès pour ses poésies, procès qu'il perdra, celui qu’on n’apprécie que longtemps, longtemps après sa mort, celui qui n’a jamais gagné un sou de ses livres mais qui, après sa mort, est édité dans le monde entier et de plus en plus à ce jour...
Baudelaire fut marqué dès sa naissance par le destin en étant le fils d’un prêtre défroqué de la Révolution, marqué encore par sa maladie et par sa mort, à quarante-six ans, de la syphilis, qui faisait plus de ravages à l’époque que le sida aujourd’hui. On reste pantois devant le talent et l’intelligence de cet homme. Ses vers, comme sa pensée, sont ciselés à merveille avec une précision d’horloger. Sa pensée dépasse toutes les philosophies oiseuses qu’on ait pu connaître. Il est aussi bien théologien que le plus grand critique d’art de son temps. Il a compris aussi bien l’érotisme que le mysticisme, l’alcoolisme que la drogue, la politique que la religion. Il a des vues originales et géniales sur tout.
Nul n’a plus le sens du beau que lui. Il faut apprendre et réciter ses vers, tant ils sonnent bien et ils résonnent bien dans l’âme, un peu comme une musique à la rythmique à la fois harmonieuse et cependant mathématique. C’était un homme très cultivé et un latiniste hors-pair...
Le titre Moesta et errabunda ( voir le poème ci-dessous ) n’a pas été inventé par Baudelaire. J’ai personnellement longtemps réfléchi à ce titre apparemment mystérieux, et je crois avoir trouvé... C’est sûrement extrait de la Vulgate de saint Jérôme, la première bible en latin, que Baudelaire ne pouvait pas ne pas avoir lue et relue, vu son éducation latiniste et chrétienne. Et donc, Moesta et errabunda, cela veut dire "errante et condamnée", pour reprendre, à mon avis, la traduction qu’en donne incidemment Baudelaire lui-même, dans un autre de ses poèmes "Les femmes damnées, Delphine et Hippolyte", et cela s’adresse à Caïn, après la Chute de ses parents, Adam et Eve qui ont commis le péché originel, et le meurtre de son frère Abel ; à un deuxième niveau, cela s’adresse à la destinée du peuple juif et à sa diaspora, et à un troisième niveau, symbolique et poétique, cela désigne la condition de tout homme, pécheur comme Caïn envers son frère Abel, la condition d'un homme "errant et condamné".
Moesta et errabunda
Dis-moi, ton cœur parfois s'envole-t-il, Agathe,
Loin du noir océan de l'immonde cité,
Vers un autre océan où la splendeur éclate,
Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité?
Dis-moi, ton cœur parfois s'envole-t-il, Agathe?
La mer, la vaste mer, console nos labeurs!
Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse
Qu'accompagne l'immense orgue des vents grondeurs,
De cette fonction sublime de berceuse?
La mer, la vaste mer, console nos labeurs!
Emporte-moi, wagon! enlève-moi, frégate!
Loin! loin! ici la boue est faite de nos pleurs!
Est-il vrai que parfois le triste cœur d'Agathe
Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs,
Emporte-moi, wagon! enlève-moi, frégate?
Comme vous êtes loin, paradis parfumé,
Où sous un clair azur tout n'est qu'amour et joie,
Où tout ce que l'on aime est digne d'être aimé,
Où dans la volupté pure le cœur se noie!
Comme vous êtes loin, paradis parfumé!
Mais le vert paradis des amours enfantines,
Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,
Les violons vibrant derrière les collines,
Avec les brocs de vin, le soir dans les bosquets,
Mais le vert paradis des amours enfantines,
L'innocent paradis, plein de plaisirs furtifs,
Est-il déjà plus loin que l'Inde et que la Chine?
Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs,
Et l’animer encor d'une voix argentine,
L'innocent paradis plein de plaisirs furtifs?
( Charles Baudelaire )
© teston (vidéo sur Baudelaire:"Moesta et errabunda",
L'Ennemi
Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur?
- O douleur! O douleur! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie!
( Baudelaire )
Elévation
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par-delà le soleil, par-delà les éthers,
Par-delà les confins des sphères étoilées,
Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,
Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.
Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l’air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins ;
Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux, le matin, prennent un libre essor,
Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !
( Baudelaire)
Les Américains ont bien eu raison de choisir le poème ci-dessus pour l’envoyer dans l’espace afin de représenter toute la littérature française auprès d’éventuelles civilisations extra-terrestres. On comprend par là que le poète génial et visionnaire du New age, croyait autant aux voyages futurs de l’âme éternelle qu’à une vie antérieure.
Initialement, le Voyage terminait Les Fleurs du Mal qui avaient été mises dans l’ordre de l’évolution spirituelle de Baudelaire. De fait, on trouve dans ce poème un condensé de la philosophie de Baudelaire, son positionnement par rapport à l’amour, la religion, la société, et surtout la politique dont il est tellement écœuré qu’il n’en attend strictement rien, à part la continuation dans l’horreur, dans le péché. Et il finit par ne voir une possibilité d’amélioration des choses que dans la Mort, ou l’Inconnu, ou Dieu, ou Jésus, qui sont les seuls susceptibles de pouvoir apporter au moins, du nouveau... Pompidou, dans une conférence à laquelle j’assistais à Nice, comme étudiant, alors qu’il était encore premier ministre, pensait que Baudelaire était mort athée, et ses vers préférés étaient :
"Certes, je sortirai quant à moi satisfait
D’un monde où l’action n’est pas la sœur du rêve..."
(Reniement de saint Pierre)
Mais ce n’est pas mon avis personnel. Je pense au contraire que Baudelaire est mort plus que croyant en montrant le ciel à un de ses amis venus le voir aphasique et paralysé sur son lit de mort, et qu’il faisait parti de ces pécheurs, comme saint Pierre, qui sont aussi des saints :
"Anges revêtus d’or de pourpre et d’hyacinthe,
O vous soyez témoins que j’ai fait mon devoir
Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.
Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,
Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or."
( Baudelaire, Projet d’épilogue à la seconde édition des Fleurs du Mal)
Charles Baudelaire fut sans doute le plus illustre des poètes maudits. "Les Fleurs du Mal" ne lui rapporteront pas un sou, au contraire, Baudelaire sera traîné devant les tribunaux et condamné. Après sa mort il sera publié dans le monde entier, enseigné dans les universités. Rimbaud lui-même, admiratif, dira de lui qu'il est "le roi des poètes, un véritable dieu". Aujourd'hui encore sa gloire universelle et intemporelle va toujours grandissante. (M.T.)
© Michel Teston "De quelques poètes maudits et troubadours" ISBN 2-9509937-2-9
Ci-dessous mon hypnose, régressive réalisée par Pascal Cascarino et sa médium.Emmanuelle..
Anywhere out of the world
(Thomas Hood, repris par Baudelaire)
O mon amour je te suivrai
Jusqu'en dehors du monde
O mon amour, allons
Allons jusqu'en dehors du monde !
Quand le génie rencontre la beauté
Alors naît un amour
Aussi grand que le monde
Un amour cosmique
Où se produisent de gigantesques explosions
Et où de sidérales énergies
Se libèrent et se consument
O mon amour, allons
Allons jusqu'en dehors du monde !
Mon amour si tu fuis la planète
Si tu t'en vas à neuf milliards d'années-lumière
Je te suivrais jusqu'en dehors
De l'espace et du temps
Jusqu'en dehors du vide.
O mon amour, allons
Allons jusqu'en dehors du monde !
Les chants d'amour sont les plus beaux
Les chants d'amour sont les seuls qui comptent
Et si nous voulons vivre
Il nous faut tout trouver dans l'amour.
Laisse-moi donc partir bien loin entre tes bras
Car j'ai besoin de ta beauté pour voyager
C'est par elle que je m'en vais
Par elle que je veux fuir
Oui, je veux fuir avec toi
Jusqu'en dehors du monde
O mon amour, allons
Allons jusqu'en dehors du monde!
© Michel Teston
Poème extrait de "Vox clamantis in deserto" ISBN 2-9501967-2-1
Ci-dessus une photo plutôt rare de Baudelaire (avant l'apparition du Net ).
Ci-dessous sur la flèche mon habituelle interprétation audio-musicale d'un de mes poèmes :
"Anywhere out of the world".
A voir aussi sur ce blog : Recueillement (Baudelaire) :
http://teston.centerblog.net/rub-recueillement-un-poeme-de-baudelaire-.html
© teston
N.B. Ma reprise amateur de la chanson moyenâgeuse "Pauvre Rutebeuf " (Rutebeuf/Ferré) est tout en bas de cette page sur les templiers. Appuyer sur la flèche.
Les Templiers (tragédie)
Michel Teston, auteur éditeur
I.S.B.N. 2-9501967-6-4
PERSONNAGES
JACQUES de MOLAY
Grand Maître de l'Ordre des Ternpliers
HUGUES de PAIRAUD
Grand Visiteur de l'Ordre des Templiers
PHILIPPE IV, Le BEL
Roi de France
CLEMENT V
Bertrand de Got, Pape
GUILLAUME de NOGARET
Garde des Sceaux du Roi
JOHAN des BAUX
Hospitalier et secrètement Templier
SARAH
Alchimiste juive, concubine de Johan
L'ANGE de l'AGONIE
Etre de lumière et ange gardien de Johan
NOTES POUR LA MISE EN SCENE
Les personnages devront être en tenue d'époque :
- Habits de Philippe le Bel
- Habits du Pape
- Habits de Nogaret, Garde des Sceaux
- Habits des Templiers, avec des épées, etc.
- Habits des Hospitaliers, (idem)
- Habits d'un chevalier ordinaire chez lui
- Habits d'une alchimiste juive
- Habits tout blancs d'un être de lumière.
- Habits loqueteux d'un lépreux.
L'action se passe les 12 et 13 octobre 1307, soit la veille et le jour de l'arrestation des templiers, sauf la dernière scène qui se passe vers 1322.
Selon les moyens, la résidence du Pape sera splendidement décorée, ou au contraire symboliquement réduite à sa plus simple expression. (A l'appréciation du metteur en scène).
Pas d'opposition de principe quant à porter l'oeuvre à l'écran avec toutes les modifications de mise en scène que cela implique: réduction du texte, ajout entre les scènes ou les actes de cavalcades, duels, bûchers, scènes du Moyen Age, à condition de respecter l'oeuvre, le texte et l'esprit du texte.
M.T.
Acte 1
Scène 1
(Jacques de Molay, Hugues de Pairaud, Johan des Baux)
(La scène se passe dans une pièce souterraine)
(Habits de templiers et de chevalier chez lui)
Hugues de Pairaud - Le Grand Maître n'est pas encore arrivé mais il ne saurait tarder. Comme je te l'ai dit, mon cher Johan des Baux, cette entrevue est de la plus haute importance.
Johan des Baux - Je ne saurais comment te remercier, frère Hugues de Pairaud, de me faire tant d'honneur : rencontrer nuitamment le vénérable Grand Maître de l'Ordre du Temple, Jacques de Molay, en compagnie de toi-même, le Grand Visiteur de l'Ordre !
H.P. - Tais-toi ! Le voici justement qui arrive.
(Jacques de Molay entre une torche ou une lanterne à la main)
Jacques de Molay - Bonsoir, frères chevaliers ! Que le Seigneur soit avec vous !
H.P. - Et avec toi aussi !
J.B. - Bonsoir, Grand Maître !
H.P. - Vénérable Grand Maître, je te présente Johan des Baux, mais tu le connais déjà, je crois...
J.M. - Oui, en effet, je le connais fort bien, c'est un de mes deux filleuls avec le fils du Roi!
J.B. (Un genou à terre) - Vénérable Grand Maître et cher parrain, je ne sais comment te remercier d'avoir pensé à moi pour une si importantemission... mais vous savez tous deux que je suis toujours dévoué corps et âme à la cause du Temple.
J.M. - Je le sais, frère Johan. Relève-toi ! Tu sais que dans le Temple nous nous considérons comme tous égaux devant Dieu...Frère Johan, mon filleul, nous avons apprécié tes services et ta discrétion ces dernières années, ainsi que ton esprit de tolérance auprès des chevaliers teutoniques et hospitaliers. tu sais que j'ai bien connu ton père, avec qui j'ai combattu en Terre Sainte. Son voeu le plus cher était qu'un de ses fils fût templier. Toi-même tu as voulu l'être il y a quelques années, et je t'ai fait, tu le sais, avec nos frères ici présents, un honneur insigne...
J.B. - Je t'en remercie encore Grand Maître, et je ne saurais l'oublier : en effet, tu fis de moi un templier sans manteau et tu me fis entrer dans l'Ordre de l'Hôpital de Saint Jean de Jésuralem, pour la gloire de Notre Seigneur Jésus-Christ et pour la paix et la fraternité entre nos deux ordres.
J.M. - Oui, bien qu'hospitalier, tu es templier sans manteau, non pas parce que tu as défroqué ou parce que tu as été exclu de l'Ordre, mais par choix délibéré. Tu es un de ceux qui doivent préserver les secrets du Temple face au paganisme,à l'apostasie et à la profanation du siècle, tu es un de ceux à qui peuvent être confiées les missions délicates et secrètes chargées de déjouer le Malin qui erre dans le monde en vue de perdre les âmes...
H.P. - Ainsi donc, selon la règle de notre Ordre qui veut qu'aucun des frères, fût-ce notre Grand Maître, ne détienne à lui seul les secrets du Temple, il t'a déjà été confié dans le passé et sous notre direction, des missions délicates et particulières... tu les as toujours bien menées, et c'est pourquoi nous avons pensé à toi aujourd'hui... Nous allons te donner une nouvelle et importante mission... Jures-tu une nouvelle fois de garder jusqu'à la mort les secrets du Temple ?
J.B- Je jure d'être toujours fidèle à l'Ordre et de garder pour moi, au péril de ma vie s'il le faut, les secrets qui vont m'être confiés.
J.M.- Il suffit, frère Hugues, nous ne sommes pas en assemblée plénière. La parole d'un chevalier du Temple ne saurait être mise en doute... Mes amis, ce n'est pas pour rien que je vous ai convoqués. Depuis quelque temps, comme vous le savez, la police du Roi et de Guillaume de Nogaret tourmente nombre de nos frères. C'est ainsi que Geoffroy de Charnay, le Maître de Normandie, a été arrêté et interrogé longuement hier. Il semble bien que Nogaret ait l'aval de notre roi lui-même, Philippe le Quatrième, lequel veut sans doute s'emparer des biens du Temple, et même faire excommunier l'Ordre afin de faciliter la chose. Il ne se contente plus d'arrêter ça et là quelques templiers plus ou moins fautifs , à présent, il semble bien qu'il veuille arrêter la totalité des templiers, n'hésitant même pas à nous torturer ou à nous massacrer s'il le juge nécessaire. Je ne voudrais pas me tromper, que le ciel m'en garde, mais le roi Philippe n'a rien à envier à Hérode ou à Néron...
Hier également, j'ai appris que Godefroy de Gonneville avait été soumis à la question par la Sainte Inquisition... Il a rendu son âme à Dieu... Or, Godefroy de Gonneville était, avec Roncelin du Fos, le chef de notre hiérarchie secrète, le chef secret des templiers sans manteau, et, à ce titre, il détenait une des trois clefs qui permettent d'ouvrir totalement les coffres du Temple et de libérer dans de pareilles circonstances, le véritable trésor de guerre que nous possédons, par exemple de quoi faire une nouvelle croisade en Terre Sainte en levant rapidement une armée de trente mille hommes...
Vois-tu, Johan des Baux, mon filleul, c'est à toi désormais que nous confions le rôle et les secrets de feu Godefroy de Gonneville...
J.B.- J'en suis très honoré, mon cher parrain, et je t'en remercie du plus profond de mon coeur.
J.M.- Grâce au ciel, mes amis, Godefroy de Gonneville n'a pas parlé. Il a été injustement accusé par la Sainte Inquisition de sorcellerie pour ses recherches en alchimie et en astrologie, ainsi que pour sa grande connaissance de la Kabbale et du Coran. Je crois que c'est pour cela qu'il a été soumis si durement à la question. Mais la Sainte Inquisition et la police de Nogaret ignorent qu'il était le chef des templiers sans manteau, et, a fortiori, elles ignorent qu'il détenait avec moi et frère Hugues, ici présent, le fabuleux trésor du Temple... Cependant, j'en conviens,nous l'avons échappé belle !
Quoiqu'il en soit, nous avons immédiatement changé le code de sa clef et décidé de la confier désormais à Johan des Baux ici présent.
H.P.- Puis-je savoir son code, Grand Maître ?
J.M.- Tu as le droit de le savoir, frère Hugues, le mot de passe entre nous trois est celui-ci : " A la garde de Dieu !"
J.B.- "A la garde de Dieu !"
J.M.- Demain, frère Johan, notre nouveau chef des frères sans manteau, tu iras à Provins voir Guillaume de Beaulieu et frère Dauphin. Ils te donneront l'ensemble des autres choses que tu dois savoir, et la médaille secrète nécessaire à ta mission... Sache que tu es désormais un des frères les plus importants de notre saint Ordre. Hugues de Pairaud, ici présent, bien qu'il soit le Grand Visiteur de l'Ordre, ne sert ici que de témoin ; lui-même ne disposera pas de la médaille qu'on va te donner et qui te servira de laisser-passer dans toute la chrétienté, partout où se trouvera le Temple. Moi-même je n'ai pas plus de pouvoir que toi. Avec les trois clefs réunies, sans parler des autres formalités nécessaires dans chacun de nos comptoirs et de nos dépôts, on peut débloquer tout l'or et tout l'argent du Temple. Et c'est précisément notre or et notre argent que convoîte la police de Nogaret, avec l'aval du Roi lui-même... Je n'ose pas le croire...
H.P. - Et toi-même, vénérable Grand Maître, ne crains-tu pas d'être assassiné ou d'être soumis à la Question jusqu'à ce que mort s'en suive ?
J.M. - Si ! tu as bien vu, frère Hugues, je crains moi-même d'être arrêté. Mais enfin, tu le sais, le cas est prévu, les dispositions sont prises. Au cas où je mourrais subitement, c'est Roncellin du Fos, le Maître de Provence, qui me remplacerait. Dois-je te dire, Johan, puisqu'il est de ton pays, et que tu le rencontreras en prenant la succession de Godefroy de Gonneville, que Roncellin possède secrètement notre troisième clef ? Mesureras-tu aujourd'hui l'honneur que je t'ai fait, à toi et à feu ton père, en faisant de toi un templier sans manteau, en te rayant officiellement de l'Ordre, à peine prononcés tes voeux ? Vous, les templiers de l'ombre, vous êtes la lumière de notre Ordre, car, comme l'a dit Saint Augustin : "Les voies du Seigneur sont obscures". Quoiqu'il arrive, il n'est pas question pour l'instant de remettre nos biens au Roi de France. Vous savez qu'il n'a pas été jugé loyal par notre Couvent qui a refusé de l'accepter parmi nous... En réalité nous n'avons qu'un seul Roi, Jésus de Nazareth, le Roi des rois et le Fils de Dieu. Nous ne reconnaissons pas l'autorité de Philippe le Quatrième sur le Temple, mais seulement celle du Successeur de Saint Pierre et du Représentant de Dieu sur la terre : sa Sainteté le Pape.
H.P. - En tant que Grand Visiteur de l'Ordre, je pense qu'il faut tout de suite mettre en lieu sûr les archives de l'Ordre qui se trouvent en ce moment à Provins et à Gisors. N'attendons pas qu'il soit trop tard. Nous n'avons pas le temps de réunir le Grand Chapitre. De surcroît tout le monde le saurait et nous nous ferions prendre par la police du Roi et de Nogaret. Il faut agir et agir vite et discrètement. Les événements nous y obligent. Avec ton accord, cher Grand Maître, je nomme donc avec effets immédiats Johan des Baux ici présent, chef de la milice secrète des templiers sans manteau, toujours en remplacement de feu Godefroy de Gonneville. A la guerre comme à la guerre !
(Se tournant vers Johan)
Dès demain, toi et tes hommes vous emporterez en Provence, et, s'il le faut, en Espagne, les coffres qui se trouvent dans la salle du Cénacle à Provins et dans la salle du Tabernacle à Gisors. Arrivé dans ton pays tu contacteras le Maître de la Provence, Roncellin du Fos. Dieu merci, la Provence n'est pas sous l'autorité directe du Roi de France. Néanmoins, si c'était nécessaire, tu irais jusqu'en Espagne et tu seras pleinement mandaté pour contacter, s'il y a lieu, l'Ordre des Teutoniques ou les Ordres de Calatrava et d'Alcantara qui sont tous des ordres frères, sans parler des Hospitaliers dont tu fais partie. A Provins, le coffre sur lequel est gravé le monogramme du Christ est le plus précieux de notre Ordre. Là se trouvent les Statuts complets de l'Ordre, certaines de nos connaissances hermétiques et cabalistiques ainsi que la liste de tous nos comptoirs templiers répartis dans la Chrétienté. Tout est écrit selon le code cryptographique que tu connais déjà. Tu cacheras ces documents en lieu sûr car finalement c'est de ce coffre que Nogaret et le Roi veulent s'emparer. S'ils le trouvaient, s'ils en décryptaient le sens, ils posséderaient tout le trésor de guerre du Temple, et Dieu sait ce qu'ils en feraient ! Nos biens seraient saisis puis gaspillés dans des guerres stupides contre l'Angleterre ou l'Empire. Nos frères seraient persécutés et réduits à la misère physique et morale.
J.M. - Oui ! il est évident que le Roi Philippe ne veut pas faire de nouvelle croisade, mais il veut se servir de cet argent à des fins personnelles pour renflouer son propre trésor et pour faire des guerres qui n'ont rien à voir avec l'idéal du Temple..
H.P. - Depuis quelques années déjà il répand des calomnies sur nous. Il veut faire de nous les boucs émissaires de sa mauvaisepolitique et de sa mauvaise gestion financière. Il n'a pas le droit d'agir ainsi, notre Grand Maître vient de le dire, c'est pourquoi nous ne lui donnerons pas notre or, quoiqu'il puisse arriver. Le Temple doit échapperà ses griffes quand bien même les principaux chefs de l'Ordre seraient arrêtés par le Roi. Et c'est pourquoi, par suite du rappel à Dieu de Godefroy de Gonneville, nous te confions aujourd'hui à toi, Johan des Baux, nouveau Maître des templiers sans manteau, et chevalier dans l'Ordre frère de L'Hôpital de Saint Jean de Jérusalem, la noble mission de Gardien Suprême du trésor du Temple.
J.B. - Je n'y faillirai point, messires chevaliers.
J.M. - Frères, mon âme est triste jusqu'à la mort à la pensée que le Roi est en train de nous trahir. Moi qui suis aussi le parrain de son fils, moi qui fais partie de la cour du roi, je me sens déchiré, je me sens épuisé, rompu. Peut-être ai-je tort d'empêcher le Roi de devenir templier, mais c'était contre les règles et les statuts de l'Ordre, je ne pouvais faire autrement et j'ai eu le soutien complet de nos frères...
Ce matin, j'ai vu briller les yeux du Roi quand il m'a regardé alors qu'il parlait à Nogaret... Je nourris les plus sombres inquiétudes...
H.P. - Et moi de même, frère Grand Maître... Car cela fait déjà longtemps que nous nous posons des questions. Il était temps, je crois, de prendre cette décision... Johan des Baux, il est tard, nous devons nous quitter à présent. Pour toi aussi la journée sera chargée demain. Mais faisons confiance en Dieu quant à la destinée du Temple.
J.M. - Bonsoir, frère Johan, mon brave filleul, et n'oublie pas ce que je t'ai dit : "A la garde de Dieu!"
J.B. - "A la garde de Dieu !" Puis-je vous demander votre bénédiction, frères chevaliers ?
(Il s'agenouille, les templiers le bénissent de la main en faisant le signe de la croix... puis il se relève) NON NOBIS, DOMINE ! NON NOBIS, SED NOMINI TUO AD GLORIAM !
J.M. et H.P. - Non pas pour nous, Seigneur, non pas pour nous, mais pour la gloire de ton nom !
(Les templiers s'en vont en faisant sonner leurs éperons d'or. Rideaux.)
© Teston Michel "Théâtre : Les Templiers suivi de Le Beatnik", 1993,
ISBN 2-9501967-6-4
Post scriptum : pour lire la tragédie en entier, cliquez sur le lien suivant, en commençant par le fond de la page.
http://teston.centerblog.net/rub-les-templiers-michel-teston-.html
Au temps des templiers, il y avait beaucoup de troubadours (langue d'oc) ou de trouvères (langue d'oïl)
comme Rutebeuf, dont certaines paroles ont été magnifiquement reprises et remises en musique par le grand chanteur et poète Léo Ferré, au XXè siècle.
 
Pauvre Rutebeuf
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés?
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte.
Ce sont amis que vent emporte
Et le vent devant ma porte
Les emporta.
Avec hiver qu'arbre défeuille
Tant qu'il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pauvreté qui m'atterre
Qui de partout me fait la guerre
Aux temps d'hiver.
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis en honte
En quelle manière.
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés?
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte.
Ce sont amis que vent emporte
Et le vent devant ma porte
Les emporta.
Pauvre sens et pauvre mémoire
M'a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvres rentes
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient le vent m'évente
L'amour est morte.
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m'était à venir
M'est advenu
M'est advenu.
L'espérance de lendemains
Ce sont mes fêtes.
(Rutebeuf)
(La musique originale de Rutebeuf n'a pas été retrouvée, merci au grand Léo Ferré).
A mon tour, en amateur, je me permets une reprise de cette chanson poème du patrimoine français.
Pauvre Rutebeuf
Ci-dessous mon enregistrement audio en plus de la vidéo de Rutebeuf, le trouvère du XIIIè siècle, époque de saint Louis, roi de France.